NE TE TROMPE PAS DE COLÈRE!

016_001 14 mai, Octave Garnier, son pote René Valet et leurs compagnes Marie-La-Belge et Anna Dondon, se planquent pénards dans un apparte qu’ils louent à Nogent sur Marne, dans la banlieue de Panane. Ils attendent que ça se tasse un peu pour eux vu qu’ils sont activement recherchés par la famille poulaga au grand complet. Il faut reconnaître qu’ils ont un peu foutu le bordel dans le pays, braquant des banques, dépouillants quelques rentiers et surtout dézinguant ceux qui tentent de les en empécher. Plus que de simples bandits tragiques, la petites bandes s’est donnés des motifs politiques pour passer à l’action et, en France, on ne rigole pas trop avec ça. Dans la communauté de Romainville qu’ils avaient fréquenté, on pratique pourtant un anarchisme pacifiste, très hygiéniste, pas de bibine, pas de clope, végétarisme strict, entrainement physique régulier. On passe aussi beaucoup de temps à démonter les mécanismes de domination qui pourrissent depuis longtemps la société et on tente de trouver des pistes pour construire des lendemains qui chantent des chansons plus poilantes et plus fraternelles que la Marseillaise.
Mais Octave, René et quelques autres n’ont pas la patience d’attendre le Grand Soir. Ils prenent un jour le parti de passer à l’action, dans une illégalité toute réfléchie, las de se branler la nouille sans pouvoir, de temps en temps, l’agrémenter de jambonneau. D’ailleurs il s’appelle Jules, mais passons sur les péripéties de la bande que chacun connaît.
Bref, ce 14 mai, il faut, pour venir à bout des deux compères, près de 300 keufs appuyés par un régiment de 400 zouaves de l’armée coloniale, et même, pour la première fois de l’histoire, des clébards polciers. Après avoir fait évacuer les femmes et refusé de se rendre, les deux anars luttent vaillament jusqu’au bout, les armes à la main, respectant ainsi les derniers mots de Garnier : « Et ne croyez pas que je fuis vos agents ; je crois même, ma parole, que ce sont eux qui ont peur. Je sais que cela aura une fin, dans la lutte qui c’est engagée entre le formidable arsenal dont dispose la Société et moi. Je sais que je serai vaincu, je suis le plus faible. Mais j’espère bien faire payer cher votre victoire. » La « Société », quitte à payer cher, ne lésine sur les moyens pour s’assurer la victoire : artillerie lourde, dynamite, des centaines de cartouches et de balles tirées, un véritable carnage… fatal à Octave et René.
Cette histoire se finit donc tragiquement, il y a à peine plus de 100 ans, le 14 mai 1912, mais elle résonne étrangement avec l’actualité. Car si les causes politiques et idéologiques défendues par les deux bandes, des sièges de Nogent et de Saint Denis, sont diamétralement opposées, la réponse de la « Société », comme disait Octave, est rigoureusement la même. Une démonstration de force sans équivoque.
Là s’arrête la comparaison et ne va croire que le Père Spicace part en vrille et s’associe aux différentes tueries que ces derniers temps, et pas qu’en France, une bande de jobards enturbannés perpetue. Surement pas, foutre dieu.
Ce qui reste tout de même identique, et il va bien falloir se le foutre dans le crâne, c’est l’apparthied social qui règne dans ce pays. En 100 ans rien a bougé. La société de classes est toujours d’une triste actualité. L’écart entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien, ou pas grand-chose, est même sérieusement en train de se creuser. Ce n’est plus un fossé, c’est un gouffre. Cette analyse ne tombe pas du ciel. Tous les mouvements politiques qui visent l’émanciaption du peuple la rabache depuis belle lurette, des anars les plus intrangisants à la gauche méluchonne en passant par les quelques syndicats qui se revendiquent encore de la charte d’Amien. Alors que se passe-til ? Pourquoi, puisque les exploités sont de plus en plus nombreux et les outils d’éducation populaire de plus en plus affutés, n’a-ton pas encore renversé la vapeur ?
Je te le donne en mille, Émile, nous, qui pronons l’avènement d’une société solidaire et libertaire, avons déserté les quartiers populaires… tous les quartiers populaires. Les quartiers pavilllonaires à la populace abrutie à la télé réalité et accro au smartphone, mais aussi et surtout les quartiers les plus paupérisés où s’entassent, parquée depuis 40 ans, toute la population post coloniale. Cette population n’est pas qu’abandonnée par la république, elle l’est aussi de nos éfforts d’éducation politique et de construction d’alternatives émancipatrices. A de rares execeptions près, nous avons laisser le champs libre à ce que nous combatons depuis toujours, l’extrème droite et la religion. Ça craint sérieux les copains, et nous en payons maintenant plus que jamais les conséquences.
Car si Octvae a choisi le chemin de la liberté à tout prix, les clampins du djihad ont pris celui d’un asservissement meurtrier.
Cela dit, j’aimerai alors te laisser un message, à toi qui, à l’image d’Hasna l’intermédaire, de Jawad le logeur ou de Salah le fuyard, ne supporte plus d’être laissé pour compte, d’où que tu viennes, d’où que viennent tes parents ou ta famille, quelle que soit ton histoire : NE TE TROMPE PAS DE COLÈRE !
Souviens toi la ritournelle de la Jolie Môme : ta colère est légitime, certes, mais utilise là à bon escient. D’abord en te rebellant contre tes opresseurs mais surtout pas en te soumettant à de nouveaux maîtres qui, tu le sais bien maintenant, n’hésiteront pas à te manipuler pour servir leur propres intérêts. Tu n’auras toujours pas ta part du gateau. Tu n’auras rien et, toi qui rêve de te la péter en société, à tous les coups, tu finiras, en plus, par crever comme un con.
Alors si tu as la rage, si tu ne supportes plus l’injustice de ce monde pourave, si tu veux te battre pour t’en sortir, NE TE TROMPE PAS DE COLÈRE ! Ta révolte est légitime et, crois moi, elle fait flipper en haut lieu. T’as qu’à voir l’artillerie lourde qu’ils déploient à chaque mouvement populaire… Bats toi pour un monde plus juste où la fraternité et la sororité ne seraient pas de vains mots. Souviens toi alors que ce sont les gros capitalistes et leur course effreinée aux profits qui foutent la merde partout dans le monde. La société de classe est leur meilleur outil pour nous dominer et semer le trouble entre nous. C’est avant tout contre tous les puissants de la planête qu’il faut se rebeller, qu’ils soient français, américains ou saoudiens…
En guise de conclusion, pour que tous les péquenots qui applaudissent à l’état d’urgence comprennent qu’un État autoritaire ne sera jamais une solution de paix, j’aimerai partager les propos profétiques du Rétif, publiés le 18 janvier 1912 dans le numéro 354 du journal l’Anarchie :
« Gens quiets et benoîts, vous reverrez ce cauchemar : mille brutes se ruant sur deux hommes ! Vous reverrez souvent, de plus en plus souvent, la meute innombrable des policiers et de soldats traquant les révoltés tenue en échec par quelques individus seuls. Et tout ce que vous ferez contre eux sera vain. Ceux qui tomberont seront inévitablement remplacés ».

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